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Réaumur-Sébastopol 00h04:
Un homme est sur le quai, en face du notre, debout sur l’extrême bord du quai, là où le train arrivera dans quelques instants, jeune, il doit à peine atteindre la trentaine, un immense sac à dos noir sur le dos.
Il y a un silence monacal dans la station malgré la présence d’une quinzaine de personnes.
00h05:Soudain, il brise ce silence d’une voix forte « C’est silencieux ici! Le calme avant la tempête. ».
Je sens d’adrénaline me brûler d’un coup l’estomac, je ne l’explique pas de manière consciente mais dis à Monsieur, sans réfléchir: « Il ne va pas sauter quant même? ».
Mon copain le regarde, il ôte son sac à dos, le pose à ses pieds, le métro est indiqué dans deux minutes.
Je ne sais pas pourquoi mais l’angoisse ne part pas, mes pensées sont chaotiques, la phrase résonne dans ma tête, je pense à un attentat (paranoïa parisienne de la décennie), je cherche du regard un truc pour appeler du secours, je ne sais pas, je ne trouve pas, j’ai peur appeler inutilement…
00h06:Il continue de parler, je ne suis pas, je réfléchis et ne fais rien, je ne sais pas quoi faire, j’ai toujours eu peur des gens qui semblent si près des rails, j’angoisse si souvent. Je tente de rationaliser et de me dire qu’il est saoul et qu’il n’y a pas de risque.
00h07: Je regarde mon copain, il le fixe, et parle, je l’entend prononcer le mot « sourire » le train arrive dans une minute, et être toujours si près de cette limite… je vois Monsieur le regarder et lui sourire.
Le jeune homme remet son sac, et s’éloigne, le train arrive immédiatement.
00h08: Il monte dans la rame, et disparaît de notre vue.
00h09: Je demande à Monsieur, « Tu crois qu’il allait sauter? », il me répond sûr de lui, la voix sourde et sérieuse « Oui ».
« Que disait-il, je n’ai pas entendu? »
« Il disait: « Un sourire n’est pas grand chose, et je veux juste un sourire », ça en fait un de moins… ».
Je me suis tue… J’aurais été seule, je n’aurais pas souri, je n’aurais pas compris, j’aurais cherché à agir sans agir, noyée dans mes pensées, je culpabilise, nous avons tous deux la certitude du geste qu’il s’apprêtait à faire: le choix de l’emplacement, les paroles sybillines, le timing, et surtout le comportement et notre ressenti.
Depuis je me sens torturée, les « et si… » sont trop nombreux.IMG_20160524_015235.jpg